The article below was published by the French journal Libération of 6 June 2016:
La récente publication par trois économistes du département de la recherche du Fonds monétaire international (FMI) d’un article critiquant le néolibéralisme a été assez remarquée. L’article avance que le néolibéralisme a été «survendu». Tout en ne remettant pas en cause l’ensemble des politiques néolibérales, il critique particulièrement deux d’entre elles : l’ouverture des marchés de capitaux, qui augmente les risques de crise financière au lieu de les diminuer, et les politiques d’austérité, qui sont superflues pour un bon nombre de pays et contribuent à diminuer la demande et, par conséquent, freinent l’activité. Ces deux politiques augmentent aussi les inégalités, ce qui entraîne également des conséquences négatives pour la croissance.
On pourrait remarquer que ces critiques n’ont rien de bien surprenant ni d’original ; mais elles sont tout de même intéressantes, ne serait-ce qu’en raison de l’identité des leurs auteurs. En effet, le FMI s’est fait connaître comme l’un des principaux émetteurs de recommandations de politiques néolibérales ; et même un peu plus que des recommandations, puisque le FMI a, dans certains cas, la possibilité d’imposer ces politiques : élimination des mesures et réglementations faisant obstacle à la circulation des marchandises et des capitaux, diminution des dépenses publiques, privatisations, démantèlement des systèmes publics de protection sociale, etc. Le FMI est d’ailleurs toujours à la manœuvre pour imposer ce genre de «réformes structurelles» à la Grèce.
On peut alors se demander pourquoi le FMI critique la politique qu’il tente de faire appliquer. De fait, la parution de l’article et les réactions qu’il a suscitées soulignent l’écart entre les positions du département de la recherche du FMI et les praticiens de cette même institution. Ces derniers, véritables pères blancs du néolibéralisme, ont besoin d’y croire ou au moins de faire semblant. Ils supportent donc assez mal qu’on mette en cause ce sur quoi repose leur pratique. Deuxième fait intéressant, l’article désigne le problème par son nom : «néolibéralisme». Or, une défense habituelle des partisans de cette doctrine est de nier son existence en tant que telle. Il est d’usage chez eux de prétendre que le néolibéralisme est quelque chose de mal défini, de trop vague pour avoir un quelconque contenu analytique. Si le néolibéralisme n’existe pas, on ne peut pas le critiquer. Or, même si le terme est parfois utilisé de façon peu précise dans le débat public, il n’en reste pas moins qu’il désigne un ensemble assez bien identifié de propositions. Le néolibéralisme est peut-être divers, mais pas plus que bien d’autres doctrines.
Mais le plus intéressant est sans doute le parallèle que l’on peut établir entre la critique du libéralisme, qui avait débouché dans les années 30 sur le néolibéralisme, et les reproches actuellement adressés à cette dernière idéologie. Il était devenu clair, après la crise de 1929, que le libéralisme était mort en raison d’«une inéluctable évolution interne», pour reprendre la formule célèbre d’Auguste Detœuf. Le laisser-faire n’était qu’un mythe, les promesses de prospérité et de liberté individuelle apparaissaient comme une démagogie au profit des classes dirigeantes. La négligence de la question sociale accroissait les inégalités, le laisser-faire renforçait les «trusts» et les cartels, et tout cela menait l’économie vers la crise et les masses vers le socialisme.
Le renouveau de la pensée libérale était supposé être le néolibéralisme, différent du laisser-faire, sauvant ce qu’il y avait à sauver du vieux libéralisme, et faisant la promotion de la concurrence loyale, supposée assurer l’égalité des chances, favoriser la reconnaissance des véritables hiérarchies et récompenser chacun selon ses mérites et non selon son héritage, ce qui devait en principe suffire à éteindre la lutte des classes.
Quelques décennies plus tard, la réalité du néolibéralisme s’est imposée. Accroissement des inégalités, concentration du pouvoir économique, recul de la démocratie, augmentation de l’insécurité économique, ralentissement de la croissance, crises financières… finalement, il n’y a que la «menace» (ou la promesse, c’est selon les points de vue) du socialisme qui a disparu. Le libéralisme, rénové ou non, conduit toujours aux mêmes impasses et les promesses de son renouvellement sont aussi crédibles que celles d’un alcoolique chronique affirmant qu’il arrêtera de boire demain.
En finir avec le néolibéralisme
—La récente publication par trois économistes du département de la recherche du Fonds monétaire international (FMI) d’un article critiquant le néolibéralisme a été assez remarquée. L’article avance que le néolibéralisme a été «survendu». Tout en ne remettant pas en cause l’ensemble des politiques néolibérales, il critique particulièrement deux d’entre elles : l’ouverture des marchés de capitaux, qui augmente les risques de crise financière au lieu de les diminuer, et les politiques d’austérité, qui sont superflues pour un bon nombre de pays et contribuent à diminuer la demande et, par conséquent, freinent l’activité. Ces deux politiques augmentent aussi les inégalités, ce qui entraîne également des conséquences négatives pour la croissance.
On pourrait remarquer que ces critiques n’ont rien de bien surprenant ni d’original ; mais elles sont tout de même intéressantes, ne serait-ce qu’en raison de l’identité des leurs auteurs. En effet, le FMI s’est fait connaître comme l’un des principaux émetteurs de recommandations de politiques néolibérales ; et même un peu plus que des recommandations, puisque le FMI a, dans certains cas, la possibilité d’imposer ces politiques : élimination des mesures et réglementations faisant obstacle à la circulation des marchandises et des capitaux, diminution des dépenses publiques, privatisations, démantèlement des systèmes publics de protection sociale, etc. Le FMI est d’ailleurs toujours à la manœuvre pour imposer ce genre de «réformes structurelles» à la Grèce.
On peut alors se demander pourquoi le FMI critique la politique qu’il tente de faire appliquer. De fait, la parution de l’article et les réactions qu’il a suscitées soulignent l’écart entre les positions du département de la recherche du FMI et les praticiens de cette même institution. Ces derniers, véritables pères blancs du néolibéralisme, ont besoin d’y croire ou au moins de faire semblant. Ils supportent donc assez mal qu’on mette en cause ce sur quoi repose leur pratique. Deuxième fait intéressant, l’article désigne le problème par son nom : «néolibéralisme». Or, une défense habituelle des partisans de cette doctrine est de nier son existence en tant que telle. Il est d’usage chez eux de prétendre que le néolibéralisme est quelque chose de mal défini, de trop vague pour avoir un quelconque contenu analytique. Si le néolibéralisme n’existe pas, on ne peut pas le critiquer. Or, même si le terme est parfois utilisé de façon peu précise dans le débat public, il n’en reste pas moins qu’il désigne un ensemble assez bien identifié de propositions. Le néolibéralisme est peut-être divers, mais pas plus que bien d’autres doctrines.
Mais le plus intéressant est sans doute le parallèle que l’on peut établir entre la critique du libéralisme, qui avait débouché dans les années 30 sur le néolibéralisme, et les reproches actuellement adressés à cette dernière idéologie. Il était devenu clair, après la crise de 1929, que le libéralisme était mort en raison d’«une inéluctable évolution interne», pour reprendre la formule célèbre d’Auguste Detœuf. Le laisser-faire n’était qu’un mythe, les promesses de prospérité et de liberté individuelle apparaissaient comme une démagogie au profit des classes dirigeantes. La négligence de la question sociale accroissait les inégalités, le laisser-faire renforçait les «trusts» et les cartels, et tout cela menait l’économie vers la crise et les masses vers le socialisme.
Le renouveau de la pensée libérale était supposé être le néolibéralisme, différent du laisser-faire, sauvant ce qu’il y avait à sauver du vieux libéralisme, et faisant la promotion de la concurrence loyale, supposée assurer l’égalité des chances, favoriser la reconnaissance des véritables hiérarchies et récompenser chacun selon ses mérites et non selon son héritage, ce qui devait en principe suffire à éteindre la lutte des classes.
Quelques décennies plus tard, la réalité du néolibéralisme s’est imposée. Accroissement des inégalités, concentration du pouvoir économique, recul de la démocratie, augmentation de l’insécurité économique, ralentissement de la croissance, crises financières… finalement, il n’y a que la «menace» (ou la promesse, c’est selon les points de vue) du socialisme qui a disparu. Le libéralisme, rénové ou non, conduit toujours aux mêmes impasses et les promesses de son renouvellement sont aussi crédibles que celles d’un alcoolique chronique affirmant qu’il arrêtera de boire demain.
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